Imitation Game : tout sur le beau film d’Alan Turing

Publié le : 02 février 20236 mins de lecture

Nous sommes habitués à penser, et pas à tort, que les découvertes scientifiques et les innovations techniques sont et doivent être représentatives de ces mêmes découvreurs et auteurs qui en ont animé les débuts. Conviction d’ailleurs validée par toute une série d’appellations et de désignations qui rappellent, pour plus d’impact et d’efficacité communicative, les personnages qui en ont promu la formulation : il fait allusion aux lois de Newton par exemple, aux lois de Kepler, à la relativité d’Einstein, pour n’en citer que quelques-unes. Toutes portent le nom de la personne qui les a conçues, de manière à rendre leur reconnaissance figurative et immédiate ; la découverte, l’invention, est au même niveau que l’homme, s’élevant sur ces traces à une identité symétrique d’importance et de reconnaissance, sans plus-values et sans plus-values. Un schéma parfait, il observerait, s’il n’y avait pas le film Imitation Game, sorti sur les grands écrans en 2014, réalisé par Morten Tyldum, et basé sur la vie du mathématicien anglais Alan Turing ; un film qui subvertit parfaitement la structure désignée ci-dessus, en proposant de manière intelligente et provocante une dislocation totalement antithétique : le drame de l’homme qui précède la grandeur du scientifique.

La solitude d’un mathématicien

Ceci, pour autant qu’on puisse en juger, s’est avéré être l’intention du réalisateur qui a su exploiter habilement les qualités interprétatives d’un Benedict Cumberbacht certainement pas improvisé. Une projection qui réussit à communiquer de manière paradoxale la dimension de solitude et d’éloignement d’un génie des mathématiques, déchiré entre ce qu’il craint d’être et ce qu’il pense être. Paradoxal il a écrit il y a quelques instants, justement, paradoxal, vu le peu d’attention scénographique consacrée à la question de l’homosexualité et, dans sa cause, à toute la série d’innombrables limitations qui ont affligé Turing. Ces aspects sont tus, seulement suggérés, tout au plus chuchotés, laissant le film s’attarder sur les questions plus pragmatiques, et certainement plus clichées, concernant la machine « Enigma ». Ce n’est pas une tâche facile, de dire sans dire, de communiquer sans pointer le projecteur… Ce n’est pas une tâche facile, mais une tâche réalisée sans délai, en regardant la projection dans son ensemble, qui choisit consciemment d’éviter de se focaliser sur le particulier afin de garder intacte cette image globale qui exalte l’homme au-delà de ce qu’il accomplit, au-delà de ce qu’il craint, au-delà de ce qu’il souffre.

Qui était Alan Turing ?

Un mathématicien, oui bien sûr, un cryptographe, oui bien sûr, l’un des pères putatifs de l’informatique, oui bien sûr… tout cela, mais ce n’est pas l’une de ces réponses qu’on ne s’est donnée dès la fin du film. Turing était un homme, offensé, humilié et rabaissé dans sa dignité. Et bien qu’importantes, comme on pourrait le déduire d’un documentaire qui, avec un œil clinique, décrirait les formidables études et les formidables implications, ses innovations ne détournent certainement pas l’attention de l’observateur de l’injustice qui a miné sa santé physique et mentale. Et sans doute la tentative d’une histoire d’amour avec sa collègue Joan Clarke, peut-être un geste désespéré pour adoucir une intrigue déjà consacrée à d’amères méditations, n’a pas été d’une grande utilité, s’il n’y avait pas ces aspects dans lesquels, entre eux deux, on perçoit un désir d’amour qui, certes incompris, est racheté par une amitié non moins noble. La trame passionnante des événements de la guerre se mêle à la suite narrative dans le campus de recherche : un microcosme parfois statique, entouré d’une frénésie de personnages « ivres » d’espionnage et plein de tensions politico-stratégiques. Et dans ce cadre se trouve une relation tourmentée avec les collègues de travail, d’abord, et les amis, ensuite, pas moins selon l’impression scénographique de la procédure de création de la machine « Christopher ». Turing est un personnage emblématique : affecté d’un bégaiement parfois envahissant, il révèle une personnalité en quelque sorte narcissique, pointe de l’iceberg d’un fond fait de timidité et de difficultés relationnelles.

Pourquoi voir le film ?

L’idée des flash-backs répétés comme un précieux stratagème régressif est ingénieux, contextuelle à ce désir précis de ne jamais couper le cordon ombilical avec le passé et avec sa propre enfance ; un choix qui s’avère décisif pour conférer cette nuance  » à la Leopardi « , cette saveur  » à la Fellini « , d’une atmosphère enfantine qui ne reviendra jamais, mais qui n’en est pas moins vivante. Il y a tant de phrases qu’on pourrais citer dans le film, comme exemplaires et explicatives de tout le film, tant de phrases qu’il serait difficile de faire un choix réfléchi. C’est pourquoi on se fie à notre intuition et, en la suivant, il se souvient d’une phrase finale, prononcée avec ferveur et dévotion par l' »amie » Joan Clarke ; une phrase si dense de vibration poétique que, même seule, elle aurait pu devenir le pilier du film. « Le geste parfait, le coup de grâce, une secousse, un triomphe de cette humanité qui avait été injustement enlevée à Turing, le juste épilogue qui redonne valeur et dignité au drame d’un homme qui n’a reçu qu’en 2009 les excuses officielles de Sa Majesté la Reine.

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